Quelle est ma mission ?
Je suis de nouveau dans un doute existentiel. Qui suis-je ? Qu’est-ce que je fais ici ? Où diriger mon existence ? Quelle est ma mission, mon rôle sur cette planète ? A-t-on vraiment une mission ? Dans mon état de mobilité réduite, je me sens encore plus concerné par ces interrogations, car je suis plus limité que normalement dans le domaine du faire… Ce n’est pas facile pour moi ! Ma première réaction est de combler le vide par la lecture. Mais n’est-ce pas un moyen d’échapper à ce que la situation a à m’enseigner ? Sans doute. Comme dirait Ayya Khema*, la lecture n’est qu’une forme de loisir ; même si elle peut paraître beaucoup plus profonde que ça, c’est une distraction comme une autre, qui nous empêche d’être présent, de reposer dans la nature de l’esprit. Dans la lecture, nous sommes complètement dans le mental, dans le monde des pensées et des idées, des opinions et des jugements, du passé et du futur, des concepts et de la dualité… C’est remplir encore un peu plus notre tête, notre mémoire, d’informations, de croyances, d’opinions, dont la valeur et la vérité sont relatives et discutables.
C’est intéressant, bien sûr, et on a l’impression d’apprendre de nouvelles choses ; c’est d’ailleurs ce qui engendre notre avidité insatiable pour l’information, la connaissance, les idées. Et la matière pour satisfaire cette avidité est infinie. Des centaines de milliers de nouveaux livres sont publiés chaque année ; il y a aussi les revues, et les textes qui foisonnent chaque jour sur l’internet : un immense brouhaha de mots. Écrire un livre n’est plus le privilège d’une poignée d’écrivains, de savants ou d’originaux. Tout le monde écrit des livres de nos jours, même moi… Il est vrai que la lecture est un plaisir dont je ne me lasse pas, comme manger ; un besoin quotidien qu’a mon esprit de se nourrir, de se gaver de mots ; et les jeûnes sont douloureux. Je m’en rends compte quand j’ai des infections aux yeux et que je ne peux pas lire.
Je lis toutefois des choses intéressantes : en ce moment, les articles de What is Enlightenment?* sur l’illumination et l’évolution. Ce sont des sujets dont je pourrais parler dans mes prochains livres, et exposer dans des conférences ou des ateliers : de la matière première à retransmettre. Je me dis parfois – pour me justifier sans doute – que mon rôle est de transmettre des informations, des idées… pourquoi pas ! C’est quelque chose qui me plaît et me semble utile et profitable, pour changer ou améliorer le monde. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à faire ça, loin de là. L’information et la communication sont des caractéristiques de notre époque, et aussi des moyens de favoriser l’évolution et le changement. C’est une information alternative qu’il s’agit de transmettre, bien sûr, et même si elle ne touche encore qu’une trop petite partie de la population mondiale, c’est là qu’il y a quelque chose à faire, et que se situe peut-être ma mission.
* Khema (Ayya) (1926-1997) : née à Berlin, Ayya Khema fut ordonnée nonne en 1979 au Sri Lanka. Elle enseignait le bouddhisme theravada et la pratique des jhanas, les absorptions méditatives. Elle fonda en 1978 le Wat Buddha Dhamma, un monastère de la forêt situé en Australie, où j’ai fait ma première retraite avec elle en février 1990 (voir mon livre Le parfum de l’éveil). Elle fut ensuite mon principal maître spirituel jusqu’à sa mort.
* What is Enlightenment? : magazine spirituel créé en 1991 par Andrew Cohen.
24 octobre 2002, Chiang Mai